Terre de Feu et vent austral – 12/03 au 14/03

Punta Arenas : La dernière ville du continent américain

Lorsque nous arrivons à Punta Arenas, nous sommes impressionnés par la force des vagues dans le détroit de Magellan. Punta Arenas est la dernière ville du continent américain, la dernière avant la Terre de Feu, cette île du bout du monde. Le vent ici est très puissant, nous avons du mal à marcher dans la rue et encore plus avec les vélos. Par moment, nous sommes obligés de nous arrêter pour laisser passer des bourrasques. Il fait tellement de vent qu’on se demande si notre bateau va pouvoir traverser le détroit demain.

La ville est très étendue, nous sommes bien contents d’avoir des vélos pour la visiter. Nous trouvons une auberge vraiment sympa où nous aurons une chambre rien que pour nous, cela faisait bien longtemps. A peine arrivés, nous retrouvons Marion et Stéphane, les backpackers déjà croisés à plusieurs reprises sur la carretera australe. On se raconte nos aventures depuis notre dernière rencontre et on se rend compte que nous avons croisés les mêmes voyageurs à vélo. D’ailleurs, ils attendent justement un bateau qui va les mener à Puerto Williams pour rejoindre Sam (le cycliste allemand que nous avions rencontré à La Paz en Bolivie et avec qui nous devions fêter le nouvel an au Chili).

Il nous reste très peu de temps pour atteindre Ushuaia, moins de 10 jours. Nous hésitons à prendre, nous aussi, le bateau vers Puerto Williams qui est en réalité la ville la plus australe, sur l’île Navarino au sud d’Ushuaia. Puerto Williams est au Chili et Ushuaia en Argentine. Pour traverser le canal de Beagle qui les sépare, il n’y a pas de navette. La traversée dépend du bon vouloir des marins, le prix aussi dépend d’eux. Ainsi, il y a peu, c’était 100 USD la traversée (pour environ 5km), quand il y en avait. Maintenant, on nous informe que c’est plutôt aléatoire, les traversées habituelles n’ont plus lieu.  Bien que ce doit être une superbe croisière de plusieurs dizaines d’heures au milieu des glaciers, icebergs, de la faune marine australe pour relier Punta Arenas et Puerto Williams, nous avons appris de notre séjour à Villa O’Higgins. Nous ne pouvons pas nous permettre de prendre le risque de rester bloqués sur la rive en face d’Ushuaia et de louper notre avion à cause d’un bateau qui ne part pas. De plus, nous avons vraiment hâte de rouler en Terre de Feu.

Cependant, nous sommes bien dans cette auberge : le propriétaire est super sympa, l’ambiance est bonne et la ville a l’air agréable. C’est donc ainsi qu’à 7h on se lève, on s’habille et voici le dialogue qui s’ensuit entre nous :

Fabien : « Je suis fatigué.

Kristell : – moi aussi, je suis complètement KO.

Fabien : – on est bien là.

Kristell : – ouais c’est clair !

Fabien : – ça passe si on reste une journée de plus ici.

Kristell : – je crois pas, attend je vérifie. Non ça passe pas. On n’arrivera pas à temps, il nous manquera un jour. Mais bon, on peut essayer de doubler une des étapes.

Fabien : ça va être chaud !

Kristell : Ouais…

Fabien : On retourne se coucher ?

Kristell : Oui ! »

Vous l’aurez compris, c’est avec une grosse surprise que nos compagnons de l’auberge nous découvrent encore sur place ce matin-là. Nous profitons de notre journée pour visiter la ville à vélo, le cimetière connu pour ses énormes caveaux, le port… Nous parcourons également la piste cyclable le long du détroit où nous pouvons admirer des dauphins. Nous découvrons aussi une nouvelle espèce d’oiseau : le cormoran royal. Il ressemble à notre cormoran mais est aussi dodu et de la même robe qu’un pingouin !

Le dernier diner se fera en commun avec tous les occupants de l’hôtel. Notre hôte Eduardo nous prépare un curanto, une spécialité chilienne, composé entre autres de fruits de mer (des moules immenses !), du porc, des pommes de terre, des galettes de farine, du poulet…

Nous avons très bien mangé et notre corps a pu faire des réserves pour les prochains jours qui s’annoncent difficiles. Il y a tellement de restes de notre diner d’hier soir (malgré que nous fussions une quinzaine), qu’on aurait pu tous nous nourrir pendant quelques jours supplémentaires.

Punta Arenas – Porvenir – Estancia 

La matinée est consacrée à rejoindre le port et prendre le bateau pour traverser le détroit de Magellan. Malgré le vent et la houle, le bateau n’a aucun mal à naviguer et nous atteignons la Terre de Feu vers 11h30. Nous débarquons à Porvenir, un petit village très venteux. En ce dimanche, il n’y a pas beaucoup d’âmes qui vivent dehors à affronter le vent.

La Terre de Feu est inlassablement balayée par de forts vents d’Ouest. L’île tient son nom du rude climat qui obligeait les autochtones à allumer de nombreux feux (faut dire que se promener tout nu, ne devait pas beaucoup aider à se réchauffer !).

Durant plusieurs jours, nous allons pédaler dans un paysage de pampa, où il est impossible de s’abriter. Nous savons qu’à 100km de Porvenir, il y a un refuge. Ce refuge c’est plutôt un abri de bus avec quatre murs et un toit. Ce n’est pas grand-chose, mais dans ce désert venteux c’est un luxe. Faire 100km en une après-midi et sur de la piste s’annonce ambitieux, mais nous comptons sur la force du vent d’Ouest pour nous pousser dans le dos.

Nous nous rendons à la station-service pour faire le plein d’eau car nous savons qu’il n’y a aucun point d’eau avant le poste frontière argentin que nous devrions atteindre dans deux jours. Un homme nous interpelle et nous demande si nous sommes fous ou courageux. On répond un peu des deux. Il nous dit que la route qui nous attend va être difficile mais qu’il existe quelques estancias en chemin. Une estancia est une vaste exploitation agricole dans le sud de l’Amérique et correspond un peu aux ranchs des Etats-Unis. Les gens y sont vraiment sympathiques et il ne faut pas hésiter à leur demander de l’aide si besoin.

C’est finalement vers midi que nous prenons la route. A peine commencé, nous croisons un cycliste mexicain qui fait du stop car il ne veut pas rouler sur cette mauvaise piste. Nous commençons notre journée par une bonne montée, qui ne sera malheureusement pas la seule. En effet, pendant plusieurs heures, nous alternons montées et descentes. On est loin d’avaler les kilomètres comme on se l’imaginait. De plus, le vent n’est pas toujours dans notre dos. D’ailleurs, avec le mauvais état de la piste et une bonne rafale de vent, Kristell chute et se retrouve coincée sous son vélo. Finalement rien de cassé alors on peut poursuivre.

En début d’après-midi, nous croisons quelques maisons et des estancias. Mais au fur et à mesure de la journée, nous sommes de plus en plus seuls. Enfin, pas si seuls que ça car nous sommes entourés de guanacos, une sous-espèce de lamas. C’est ici que nous avons pu confirmer notre hypothèse que le guanaco est aussi bête qu’il y parait. En effet, ici, les routes, ou plutôt la route est grillagée des deux côtés car toutes les terres environnantes sont des propriétés d’estancias. Il arrive régulièrement que les guanacos passent par un espace dans le grillage ou tout simplement sautent par-dessus. Parfois, certains sont donc du côté de la route. Pris de panique quand nous arrivons, ils se mettent à courir dans le même sens que nous. Oui mais voilà, nous continuons sur notre lancée, le guanaco devant ou à côté de nous. C’est même arrivé qu’un guanaco court juste devant nous à 30km/h. Il n’a eu l’idée de s’arrêter pour nous laisser passer qu’après une vingtaine de kilomètres de totale panique. Il aura eu le mérite de nous faire sourire un bon moment.

En Patagonie, nous avions eu la surprise de croiser des nandus, cousins des autruches vivant dans les savanes africaines.

Finalement après quelques heures, la route s’aplanie. Nous n’avons fait qu’une cinquantaine de kilomètres. Cette fois, la route file tout droit vers l’Est, nous pouvons enfin profiter du vent de dos. Plus le soir approche, plus le vent est fort. Mais voilà, nous approchons de l’automne et les nuits arrivent bien tôt. On espère que le soleil mettra une heure à se coucher, mais on voit bien qu’il descend plus vite qu’on ne le souhaiterait. Au crépuscule, à 20km du refuge, il faut se rendre à l’évidence : soit nous nous trouvons un abri dans les environs, soit nous poursuivons de nuit encore 20km pour atteindre le refuge prévu.

C’est alors, qu’on aperçoit une voiture au loin. Nous décidons de la stopper et de demander à ses occupants s’il y a un endroit où s’abriter cette nuit. Ils nous répondent non avec un fort accent du coin. On demande s’il y a : une maison en ruines, des arbres, un creux près de la route pour y poser la tente, mais non, il n’y a vraiment rien dans les environs. Voyant notre embarras le conducteur propose d’aller voir dans l’estancia la plus proche (entre 5 et 10km) s’ils peuvent nous héberger. Après avoir attendu plusieurs minutes seuls au bord de la route, le monsieur revient et nous dit de charger les vélos dans son pick-up. Il nous installe dans un bâtiment qui devait servir de dortoir lorsque l’estancia avait des employés pour travailler sur ses terres. Nous proposons de voir le propriétaire mais on nous dit qu’il passera nous voir. Nous nous installons, cuisinons à la lumière de l’éclairage des vélos. Sans électricité et fatigués par la longue journée, nous nous endormons très vite.

Estancia – San Sebastian

Le lendemain matin avant de partir, nous décidons d’aller remercier notre hôte anonyme. Il est très sympathique et nous invite pour le petit déjeuner. Nous avons déjà mangé et nous avons un peu de route alors nous le remercions, nous remplissons nos gourdes avec de l’eau de pluie et nous reprenons la route. Il y a beaucoup moins de vent, sortir de l’estancia se fait donc sans difficulté. Nous appréhendions un peu car la veille il y avait un fort vent latéral.

Nous arrivons rapidement au refuge que nous souhaitions rejoindre hier. Finalement, nous étions beaucoup mieux à dormir à l’estancia.

C’est là que commence l’aventure de la journée. Nous partons faire un détour de 30km aller-retour pour voir une colonie de manchots royaux. Forcément, nous affrontons un fort vent sinon ce ne serait pas drôle. La route serpente, le vent arrive de différents côtés selon les virages. Après avoir bien luttés, nous sommes rapidement récompensés de nos efforts par la vue de renards de Magellan peu farouches. Après nous être bien allégés en pesos chiliens, l’entrée étant vraiment chère, nous partons sur les postes d’observation et restons là un moment à observer le ballet disgracieux de ces manchots sur la berge.

Il est ensuite temps de repartir, après un bon café offert par le parc, nous reprenons le guidon et nous arrivons au refuge pour le déjeuner. Il s’agit plus d’un abri de bus avec quatre murs et un toit qu’un refuge à proprement parler. Sur les murs on peut lire de nombreux témoignages de cyclistes ayant trouvé refuge ici sur la route vers ou depuis Ushuaia. Certains ont affronté des tempêtes de neige pour arriver jusque-là. Nous sommes donc plutôt chanceux.

Quand nous reprenons la route, le vent est beaucoup plus fort. Il fait parfois le bruit d’un avion au décollage mais nous avons beau regarder, il n’y a rien à l’horizon, nous sommes seuls. Après quelques kilomètres nous arrivons sur un chantier. La route est en train d’être agrandie pour à l’avenir être asphaltée. C’est alors qu’un poids lourd reste derrière Kristell et la klaxonne à de nombreuses reprises. Fabien est loin devant. Finalement, Kristell s’arrête pour savoir ce qui se passe. C’est alors que le conducteur lui tend 2 paquets de gâteaux, une barre de chocolat et un jus de fruit. Comme ça, pour la route. Kristell rejoint Fabien qui attendait quelques kilomètres plus loin, mais une fois l’excuse du retard montrée, Fabien est heureux mais un peu jaloux.

Un peu plus loin, c’est une voiture de chantier qui arrête Kristell. Le même schéma se reproduit et les ouvriers lui tendent 2 paquets de gâteaux, une barre de céréales et s’excusent de ne pas avoir de jus de fruit à lui donner. Une fois Fabien rattrapé, il n’en croit pas ses yeux et est deux fois plus jaloux.

La route est longue et désertique mais le vent favorable permet de passer cette étape rapidement. Ainsi, en fin d’après-midi nous arrivons à la frontière chilienne. Nous quittons le Chili pour de bon. Après avoir trouvé une petite place pour le souvenir de notre passage au milieu des centaines d’autocollants collés sur les vitres de la douane, nous reprenons les vélos pour l’Argentine.

Le soleil décline mais à ces latitudes très australes, il flirte longtemps avec l’horizon avant de disparaitre. La piste serpente au milieu des oies sauvages et rapidement nous arrivons à la douane côté argentin. Nous faisons les démarches administratives et nous demandons s’il est possible de dormir dans le coin. En effet, nous savions grâce à des cyclistes remontant vers le nord, qu’il était possible de dormir à ce poste de douane.

L’officier nous indique une salle d’attente dans laquelle il y a des bancs, un évier et même une plaque de cuisson : le luxe ! Nous nous installons, bien contents d’avoir ce grand espace pour nous tout seuls, enfin presque. Environ une heure après, nous voyons arriver deux baroudeurs français avec d’énormes sacs à dos. Ils débutent le voyage et ça se voit car ils n’ont ni matelas, ni réchaud et se nourrissent essentiellement de sandwich jambon/beurre. Ça sent l’aventure.

La nuit sera presque reposante, allongés sur les bancs de la salle d’attente. Mais peu importe, nous venons de faire notre dernier passage de frontière et nous ne sommes qu’à quelques jours d’Ushuaïa !