Carretera Autral : Première partie touristique – 28/01 au 05/02
La Carretera Austral
Ça y est ! Le ferry nous a déposés à 7h45 à Chaiten. Après quelques préparatifs dans la ville et un petit déjeuner près du distributeur de billets capricieux, nous voilà partis pour la Carretera Austral.
La Carretera Austral (ou route australe) s’étend de Puerto Montt à Villa O’Higgins par une piste de plus de 1200km. Elle fut créée sous le régime de Pinochet pour relier les villages des coins les plus isolés de la région australe.
Elle fait maintenant partie des incontournables du Chili car elle traverse forêts, montagnes, parcs naturels, rivières, cascades, fjords et glaciers. Le tourisme y devient important et nombreux sont les étrangers, mais surtout les chiliens qui viennent la parcourir en voiture, mais aussi en vélo. Terminée en 2000, la piste se transforme inlassablement en route asphaltée pour notre plus grand bonheur de cyclistes, mais pour le plus grand malheur de la région qui devient très convoitée par les gros industriels qui commencent lentement mais sûrement à changer le paysage si sauvage de la Patagonie. Un groupe s’est d’ailleurs formé pour tenter d’encadrer ce saccage : « patagonia sin represas » notamment soutenu par le milliardaire américain Tompkins (marque The North Face entre autres).
Après cette petite présentation, il nous faut maintenant la découvrir en vrai, rouler dessus pour de bon ! Ayant déjà parcouru 200km via l’île de Chiloe, il nous reste environ 1000km à faire sur la carretera. Encore une fois, nous reprenons la route à trois en compagnie de Camille.
Chaiten – Bivouac 13km avant Villa Santa Lucia
Nous démarrons par une belle route asphaltée sans relief et sans trafic. Nous avalons les kilomètres malgré la fatigue suite à la nuit sur le bateau. Nous ne pouvons pas voir grand-chose du paysage car les nuages sont très bas, aujourd’hui. Une autre particularité de la carretera austral est son climat imprévisible mais surtout pluvieux. Pour le moment, nous sommes au sec. Après quelques kilomètres, nous passons près de l’ancien village de Chaiten ravagé par une éruption volcanique en 2008. Ensuite, nous passons dans le charmant village del Amarillo qui donnera envie à Fabien de vivre en Patagonie. Nous rencontrerons d’ailleurs quelques jours plus tard un habitant du coin qui proposera de nous aider à trouver un terrain et à nous installer dans le coin si un jour l’envie nous en prenait. Les prix étant attractifs, c’est tentant ! D’ailleurs beaucoup de chiliens de la région de Santiago viennent acheter plein d’hectares en Patagonie. Le désenclavement de la région et le réchauffement climatique y rendent la vie moins rude qu’auparavant.
Ici, nous sommes aux portes du parc de Pumalin, fondé par le milliardaire Tompkins. Nous sommes aussi tout près de thermes naturels, mais la piste bien pentue pour y accéder nous en a dissuadés.
Le temps s’éclaircit au fur et à mesure de la journée. Nous passons près d’un lac, traversons le pont et là les choses sérieuses commencent : fini l’asphalte, place à une piste en travaux faite de sable, de poussière, de cailloux et de taules ondulées pendant 32km. La route est souvent coupée et il y a beaucoup d’engins de chantier. On en verra même nous surplombant sur une paroi à pic.
En fin d’après-midi, on trouve un pont sous lequel passe une rivière issue d’un beau glacier. On pense s’y installer, mais c’est une propriété privée. Et oui, ici au Chili, il est possible d’acheter des hectares de forêts, les rivières, montagnes… tout est privatisé. Après réflexions, on décide de reprendre la route et de se trouver un nouvel endroit où dormir. Ce ne sera pas chose facile car tout est clôturé mais nous y arriverons au bout d’une heure, près d’une rivière.
Bivouac avant Villa Santa Lucia – Puente Palena
Aujourd’hui, nous ne sommes pas trop efficaces et comme depuis quelques jours, Camille est prêt avant nous. La journée commence par un filtrage de l’eau de la rivière puis nous poursuivons la montée commencée la veille. Nous grimpons 400m en 5km avant de redescendre vers le village de Santa Lucia dans les cailloux. Au final, nous n’avançons pas bien vite. Au menu de ce midi, des sandwiches avec du vrai fromage pour nous et les habituels porotos (haricots) pour Camille qu’il a mis à tremper la veille dans sa gourde.
On est repus et on commence une petite sieste, mais il faut reprendre la piste car on espère faire une moyenne de 50km/jour et avec l’état de la route ce n’est pas si facile. Mais voilà, à la sortie du village, une bonne surprise nous attend : un revêtement tout neuf. Nous avons donc 32km d’asphalte qui s’étendent devant nous.
Les paysages sont beaux, on voit des glaciers, des rivières d’un bleu très clair, des champs, des maisons et des troupeaux. On file vite malgré la route vallonnée. Toutes les bonnes choses ayant une fin, cette belle route asphaltée prend fin et laisse place à une piste caillouteuse nous obligeant à réduire fortement l’allure.
Nous croisons beaucoup de motards mais aussi pas mal de cyclotouristes. Contrairement aux mois précédents, ici personne ne s’arrête pour discuter, c’est devenu banal de voir des gens à vélo plus ou moins chargés.
En fin d’après-midi, nous arrivons à un pont traversant la rivière principale. Un rapide coup d’œil à l’application Maps.me nous indique que c’est notre dernière opportunité d’avoir de l’eau. Mais toutes les berges semblent privées. Nous partons donc demander de l’eau et un endroit où poser la tente au monsieur habitant la maison à gauche avec ses cinq chiens moches. Très sympathique, il nous indique un super lieu de bivouac un peu en retrait dans son jardin avec un accès à la rivière. Il semble habituer à aider les cyclistes. Nous y serons tranquilles près du pont pour déguster notre café (mauvaise idée avant de dormir) et y passer la nuit.
Puente Palena – Puyuhuapi
Ce matin, nous nous réveillons dans la brume. Tout est humide avec ce brouillard et les tentes sont trempées à l’extérieur et à l’intérieur. Nous les replions malheureusement avant que le soleil ne pointe le bout de son nez.
On traverse le pont et on attaque par du ripio (piste) qui longe la rivière quasiment toute la journée. Aujourd’hui, nous avons plein de surprises concernant le revêtement. En effet, nous alternerons sans cesse ripio, route asphaltée et zone de travaux. Nous atteignons la Junta à l’heure parfaite pour le ravitaillement du déjeuner. Beaucoup de cyclistes ont dormi sur la plage à l’entrée du village. C’est ici que nous verrons nos premiers gauchos. Les gauchos sont les cowboys du sud de l’Amérique. Ils se promènent à cheval accompagnés de leurs chiens et ils sont habillés traditionnellement avec un poncho, un pantalon bouffant et un béret (ou chapeau de feutre noir).
Lorsque nous avons fait environ la moitié des kilomètres de la journée, nous nous arrêtons déjeuner à l’ombre de quelques arbres. Soudain quelque chose tombe sur le dos de Fabien : un énorme scarabée. Même pas peur ! Kristell le déloge par un gros coup de casserole. Puis deux cyclistes espagnols passent à notre hauteur : Angel et Raymond (ce dernier fut le compagnon de route de Camille en Bolivie et au paso Sico au nord du Chili).
La journée se poursuit tranquillement sur une route vallonnée longeant un lac. Nous y retrouvons d’ailleurs nos deux cyclistes espagnols qui sortent d’une bonne sieste (cliché pour des espagnols, mais véridique : tous les midis, ils font la sieste). La piste descend ensuite vers la ville de Puyuhuapi en bordure de l’océan.
A l’office du tourisme, on nous apprend que le parc national est un peu loin et non desservi par un bus. Dommage, on comptait se reposer là et y randonner demain. Nous décidons donc de repartir demain voir le parc, quant à Camille, il restera un peu à Puyuhuapi. Pour notre dernier soir avec Camille, on mangera du flan au chocolat.
Puyuhuapi – Parc Queulat
Aujourd’hui, c’est notre journée de repos et nous avons décidé de randonner dans le parc national Queulat. Mais voilà, il faut quand même reprendre les vélos pour aller dans le camping proche du parc. Après un au-revoir à notre compagnon d’un bon millier de kilomètres, nous laissons Camille et partons pour rejoindre un petit camping près de l’eau, 18km plus loin. Nous y montons la tente et déchargeons les vélos avant de renfourcher nos montures pour les 8km qui nous séparent encore du parc.
Arrivés au parc, nous recroisons Raymond et Angel, les deux cyclistes espagnols, en train de faire la sieste ! Ils ne dérogent pas à leurs habitudes, mais ce coup-ci ils sont avec une dizaine d’autres cyclistes, tous convertis au repos post-déjeuner.
Après avoir déposé nos vélos auprès des autres, nous partons randonner dans le parc. Au programme : miradors, randonnée dans une forêt luxuriante, promenade au bord d’une lagune d’un vert laiteux, passage d’une passerelle suspendue, chaleur, humidité et boue… tout ça pour admirer le glacier suspendu. C’est un glacier formant une cascade de plus de 80m de haut au milieu de la forêt. Depuis les bois, nous pouvons entendre le bruit sourd de la glace tombant du glacier jusque dans la lagune.
Nous rentrons fatigués de cette belle journée de randonnée. Notre journée de repos n’aura pas été si reposante finalement. De plus, nous avons rencontré un couple de cyclotouristes nous informant du mauvais temps à venir. Ils vont donc rejoindre Coyhaique en 3 jours. Faire les 220km en si peu de temps est-ce possible? Il semblerait que oui, nous allons donc le tenter nous aussi.
Parc Queulat – 2km de Puente Cisnes
Comme décidé hier soir, nous ferons trois gros jours de vélo pour atteindre la ville de Coyhaique. Nous refaisons la route déjà faite hier pour nous rendre au parc. Le soleil est au beau fixe et la piste n’est pas si pire. Nous longeons ensuite la mer avec de superbes vues sur Puyuhuapi, de la pisciculture, des fjords et les différentes teintes bleues et vertes dans les eaux tout au long de la journée. Nous prenons bien notre temps pour en prendre plein les yeux.
Cependant, il faut nous presser un peu. En effet, la route va être fermée entre 13h et 17h et deux cyclistes arrivant dans le sens opposé nous annonce une piste difficile et une côte coriace par endroit. Un ouvrier, qui fait du stop car son entreprise l’a oublié pour la pause déjeuner, nous indique qu’il y a 18 lacets pour gravir le col sur 10km. Nous les avons comptés en route. Les premières courbes ne montent pas fort et Fabien se demande si on a déjà attaqué la côte.
Tout en grimpant, nous chassons le taon. Nous en tuerons plus d’une cinquantaine à nous deux. Finalement, ça se grimpe pas mal, le pourcentage n’est pas trop élevé et la piste est roulable. A notre grande surprise, nous croiserons des voitures dans les deux sens tout l’après-midi. La route n’a donc pas été fermée, ce n’est pas plus mal, on a pu bénéficier d’encouragements toute la journée.
La vue au sommet est vraiment belle avec les montagnes enneigées et les cascades environnantes. Dans la descente, nous passons à côté du bois enchanté et nous irons admirer une jolie cascade. A la fin de cette descente très pentue, nous retrouvons l’asphalte. Comme nous l’avait indiqué un couple de français jouant à la pétanque avec des pierres tout en faisant du stop. Ici, il y a énormément d’autostoppeurs.
Nous faisons une rapide pause cookies puis nous repartons car nous aimerions faire nos 50 km journaliers. Nous décidons de faire le plein d’eau à la première rivière que nous croisons puis nous cherchons un lieu de bivouac. Contrairement à ce qu’on imaginait, il n’est pas si facile de bivouaquer sur la carretera austral. C’est finalement après plus de 60km que nous trouvons un petit spot juste fait pour recevoir notre tente. L’herbe y est très haute et des scarabées volants autour de l’arbre d’à côté mais nous avons une belle vue sur la rivière d’un turquoise foncé. Nous y serons très bien pour la nuit.
2km de Puente Cisnes – 20km ap. Villa Mañihuales
Nous avons passé une bonne nuit, sans la visite d’insecte malgré les herbes hautes. Cependant, la rosée du matin a trempé la tente et les sacs de couchage. Nous attendons que le soleil pointe le bout de son nez pour tout sécher puis nous prenons le départ tardivement (vers 10h30).
La journée débute par une montée que nous avions volontairement décidé d’ajourner hier. Après quelques efforts et la vue sur la vallée depuis un mirador, nous arrivons à Villa Amengal, petit village montagnard de Patagonie. On s’y recharge en eau avant de repartir. Après quelques kilomètres nous longeons un magnifique lac dans lequel se reflètent les montagnes environnantes.
Il fait encore plus chaud qu’hier. Nous n’avons fait que 18km à midi. Ça va être dûr d’atteindre notre objectif des 50km journaliers et encore plus difficile de rejoindre Coyhaique en maintenant deux jours (il reste 140km).
C’est donc en pleine digestion et sous un soleil de plomb que nous reprenons la route vallonnée. Dans nos rétroviseurs, nous voyons de superbes sommets enneigés. Nous avançons plus vite que ce matin et alors que nous passons la barre des 50km, nous voyons quatre cyclotouristes qui se réveillent de 2h de sieste à l’ombre d’un arbre. Nous reconnaissons vite les deux espagnols Raymond et Angel, mais également Loïc et Océane (http://le-bolide-en-amerique-du-sud.weebly.com/), un couple français en tandem avec qui nous avons passé le nouvel an à Valparaiso.
Nous parcourons les 18km qui nous séparent de Villa Mañihuales ensemble, à six. Nous filons à toute allure malgré un vent de face parfois assez fort. Une fois dans la ville, tout le monde se ravitaille. La casa de ciclistas n’y existe plus car le propriétaire a déménagé. Les autres vont donc aller retrouver des cyclistes au camping. De notre côté, nous décidons de continuer un peu, malgré notre compteur qui affiche déjà 70km et qu’il est 17h, toujours dans l’espoir d’atteindre Coyhaique demain (encore 90km) et qu’on nous annonce deux jours de mauvais temps, dès demain.
Nous ferons encore 20km avec les derniers rayons du soleil, du vent et quelques bonnes montées. Nous trouvons un super spot de bivouac sur la plage près de la rivière et abrité du vent. Nous ne sommes pas les seuls à avoir eu la même idée mais l’endroit est assez vaste pour une nuit tranquille pour tous.
20km ap. Villa Mañihuales – Coyhaique
Avec les nuages menaçant d’hier soir et les mauvaises prédictions météorologiques, nous nous attendions à être trempés ce matin. Eh bien que nenni ! Contrairement aux précédents matins, nos affaires sont bien sèches. Nous reprenons rapidement la route en longeant la rivière. Notre objectif est d’être à Coyhaique ce soir, soit 70km. Nous enchaînons les montées et les descentes, mais surtout les kilomètres sous un ciel bas et oppressant avec un vent de face. Après quinze premiers kilomètres presque au sec, c’est une grosse averse qui s’abat et nous nous équipons de nos vêtements de pluie pour une dizaine de bornes. La route faisant un « < » nous espérons avoir davantage de vent dans le dos pour la suite de la journée. Mais non. Le vent patagonien possède des mystères que nous n’avons pas encore résolus.
Une bonne partie de notre occupation de l’après-midi est de fuir un chien, non pas trop agressif, mais trop affectueux et tenace. Survenu de nulle part derrière les roues de Fabien, il n’a pas eu de mal à nous suivre dans les montées, même si on le semait dans les descentes. Ce n’est pas la première fois que ça nous arrive. Celui-ci nous l’avons surnommé « El Guapo » (le beau) car il est particulièrement moche. Nous avons fini par le semer car nous sommes tout de même super rapides (ou le relief nous a été plus favorable). Mais voilà, pendant notre pause déjeuner, nous sommes doublés par plusieurs cyclistes et qui arrive à la traine complètement KO ? El Guapo. Il aperçoit nos vélos sur le bas-côté et s’arrête. En fait, il suit tous les cyclistes qu’il voit. C’est courageux sur la Carretera Austral !
La suite du chemin se passe bien, nous passons presque entre les gouttes. La route est vallonnée avec un pourcentage raisonnable jusqu’à l’approche d’un tunnel et à l’arrivée au mirador donnant sur la ville de Coyhaique. Pour nous récompenser de nos efforts, il y a une grosse descente… suivie d’une bonne côte. C’est dur en fin de journée et après ces jours intenses de vélo. Nous avons les jambes cassées. Du coup, c’est décidé, ce soir, c’est pizza !
Après un passage à l’office du tourisme sympa et efficace, nous essayons de trouver un endroit où dormir sans nous ruiner dans cette dernière grande ville de la carretera austral. Suite à un malentendu et une haute saison touristique, nous trouvons de la place pour notre tente dans un hospedaje/camping. La veille propriétaire n’est vraiment pas accueillante, c’est notre pire expérience depuis le début du voyage. Il faut l’autorisation pour aller aux toilettes et se justifier pour pouvoir prendre une douche. Le seul avantage a été le cerisier qu’on a pu dévaliser près de notre tente. Le dernier jour, nous allons au camping de la ville où nous terminons très agréablement notre séjour.
Coyhaique
Nous profitons de ces quelques jours en ville pour laisser passer le mauvais temps et nous reposer deux jours. Nos vélos aussi ont le droit d’être chouchoutés et ils font leur première révision depuis le début du voyage. Nous irons trois soirs de suite à la pizzeria profiter de très bonnes pizzas et des bières artisanales. Nous rencontrons et revoyons pas mal de voyageurs : Loïc et Océane, Raymond et Angel, Jean-Luc (cyclo français voyageant au Mexique jusqu’à la rencontre d’un cycliste lui disant que la Patagonie c’était bien et qu’il prenne un avion pour ici), Dyar (qui voyage avec son équipe de tournage depuis l’Alaska et qui réalise un documentaire sur la traversée des Amériques à vélo : www.pedalsouth.org), Marion et Stéphane (backpackers, nous ne le savions pas encore mais nous allons les revoir souvent) et plein d’autres.
Demain nous reprenons la route, pour attaquer la seconde partie de la carretera austral, plus authentique et sauvage.